Lors de notre récent "Dark Hog Moto Tour", j'ai enfin eu l'occasion d'essayer pleinement (c'est-à-dire "full"ement...) la KTM Super Duke 1290 R, baptisée comme vous le savez "The Beast" (La Bête) par KTM. Mais mérite-t-elle vraiment cette appellation ? Pour le vérifier, rien de tel qu'un petit "run" dans les sinueuses Gorges de la Nesque...
Séquence émotion
Bien que descendant de ma fantastique Ducati Streetfighter 1098 S dont je ne me lasse décidément pas au fil des ans, quand Alain m'a tendu la clef de sa "Bête" à l'entrée des Gorges de la Nesque, j’étais quand même un peu fébrile. Comme subjugué par la plastique de la KTM. Il faut dire qu’elle a une allure explosive. Même si on reconnait le look général de l’ancienne Super Duke 990, le coup de crayon s’est encore radicalisé. Les lignes sont tendues, anguleuses et très dynamiques. Impossible de confondre la 1290 R avec une autre moto. Compacte, balancée sur l’avant, elle respire la sportivité. C'est une star en monokini, dénudée à souhait, provocante et désirable. Et les équipements haut de gamme dont elle est parée sont autant de bijoux qui renforcent son caractère exclusif.
Je suis donc là, devant la katoche, les bras ballants, ébaubi. Dans ma torpeur, je crois entendre la Super Duke me susurrer des mots doux à l’oreille, mais ce n’est que le bourdonnement du charabia à peine audible d'Alain qui tente de m’expliquer le mode d’emploi de la moto. Je vois bien ses lèvres bouger, mais je n’entends pas les mots qu’il prononce. Il parle en fait de la pression de ses pneus je crois ("fais attention à la motricité, je mets 2,5/2,9 dans mes pneus, moi"). Mais je suis ailleurs, perdu dans mes soliloques intérieurs.
Puis vient le moment de mettre le contact… Le V2 craque... Quelle sonorité ! Quelle douce mélopée envoûtante ! Carrément magique ! Je sens monter en moi un frisson qui se transforme en érection massive dès que je m’assois sur la KTM et que celle-ci se met en mouvement. Plus efficace que le Viagra et plus durable (eh, oh, c'est juste une image, hein)... Tant qu’on n’a pas commis l’irréparable, c’est-à-dire piloter la Super Duke, il est encore possible de garder la tête froide, de rationaliser et de théoriser. Après, oubliez ça ! Il est trop tard; le mal est fait. La 1290 R est addictive, dès la première dose. La puissance du V-Twin de Mattighofen arrive telle une vague déferlante, ravageant tout sur son passage. Près de 170 ch et 14.5 mkg de couple (essayer "full"ement, ai-je dit...), ça déplace de l’air. Docile du ralenti jusqu’à 5500 tr/min, le bicylindre fait étalage d’un couple monstrueux. Puis, passé le cap des 6000 tr/min, c’est la folie. Mes bras s’allongent comme s’ils étaient en caoutchouc. Le V2 autrichien me projette vers le plaisir à une cadence infernale, ma vue se brouille, mes sens sont chamboulés. Le moteur tire sans faillir jusqu’au rupteur qui entre en action aux alentours de 10000 tr/min. Dans les Gorges de la Nesque, il suffit de rester dans la bande de puissance, soit de 6000 à 10000 tr/min pour côtoyer les anges - ou les démons, selon le point de vue où l’on se situe - et atteindre le nirvana version moto. Les accélérations sont époustouflantes et le paysage défile à un rythme incroyable ("y'avait des gorges à droite ? Profondes, en plus ?"). Non mais quel moteur ! Quelle pêche ! Le plaisir est tellement intense que dans le moindre bout droit je m’aplatis sur le réservoir, le casque dans le compteur, pour extraire le nectar du V2 autrichien jusqu’à la dernière goutte...
Une Bête sous contrôle
Alors, indomptable cette Super Duke ? Eh bien pas du tout ! Par rapport à ma grosse friteuse, elle est même plutôt facile à contrôler, voire civilisée. Trop même (jamais je n’aurais pensé dire ça d’une moto qui crache près de 170 chevaux à la roue arrière; mais voilà, c’est dit). Sur les premiers rapports, la moto veut se cabrer à l’accélération, mais elle en est incapable, étouffée par le collier étrangleur de l'antipatinage/anti-wheeling qui repose la roue au sol à la moindre velléité de décollage quand on ouvre les gaz en grand, quel que soit le rapport engagé. Et ce, même si j’ai sélectionné le mode Sport qui est censé améliorer la réponse à l’accélérateur et retarder le déclenchement dudit contrôle de motricité. (L’électronique de la KTM propose trois modes de conduite que l’on peut sélectionner en roulant : Sport, le plus permissif, Street et Rain, qui limite la puissance à 100 ch.)
Bon, pour contrer ce phénomène, il suffit apparemment de désactiver l'antipatinage. Mais avant, il faut arrêter la moto, car on ne peut pas le déconnecter en roulant. De plus, il faut refaire les réglages après chaque arrêt du moteur, car le système s’active automatiquement à la remise du contact et ne garde pas les derniers réglages choisis en mémoire. Dommage !
En contrepartie, la katoche bénéficie d’un excellent ABS, en tout cas je l'ai trouvé transparent à l’usage. Il propose même un mode Supermotard qui désactive l’antiblocage à la roue arrière et permet des entrées en glisse en virage... Si désiré, on peut également le déconnecter complètement.
Une partie cycle au top
Si le moteur surprend d’emblée par sa santé incroyable, la partie cycle n’est pas en reste et contribue largement au plaisir qu’on éprouve au guidon de la moto. Le cadre treillis tubulaire est rigide et précis. Il fait preuve d’un bel équilibre et est admirablement complété par les suspensions White Power. À l’avant, la fourche inversée de 48 mm de diamètre, réglable en détente et en compression, travaille à merveille. Derrière, le monoamortisseur entièrement réglable est également de haute facture, tout comme le magnifique monobras oscillant, côté gauche, qui dévoile l’élégante jante arrière. Les deux éléments de suspension sont parfaitement calibrés et favorisent une conduite à rythme soutenu (mais pas stupide évidemment).
Mais, et c’est ce qui déconcerte le plus, la Super Duke offre un confort surprenant et s’avère une excellente routière ! D’autant plus que la selle est confortable (mais pas assez longue à mon goût pour déhancher correctement), et que la protection semble au-dessus de la norme pour un roadster extrême. Damnède, n'aurait-on pas en fait affaire là à un roadstrail, croisement entre un roadster et un trail ??
Très sain, le châssis renvoie quant à lui un maximum d’information au pilote qui se sent en parfait contrôle de la situation en tout temps. Un vrai régal ! Le train avant est affûté et découpe les trajectoires au scalpel. Contrairement à la Streetfighter 1098, qui demande plus d'engagement de la part du pilote, il suffit d’une poussée sur le large guidon pour inscrire la 1290 R en courbe. Une fois placée sur l’angle, elle conserve sa trajectoire de façon impériale et ne bouge pas d’un poil. Ne pesant que 189 kg à sec (merci encore la fiche technique), la KTM est légère et s’avère vive, maniable. À son guidon, je me régale dans les virages serrés des Gorges de la Nesque. Très réactive, la partie cycle est joueuse et permet d’improviser pas mal, contrairement encore à ma Streetfighter...
Bilan : le plus dur, c’est d'arrêter
La Super Duke 1290 R est l’archétype du roadster sportif moderne : puissant, affûté, bardé d’électronique et éminemment addictif. Un régal pour les pilotes expérimentés. Avec son look provocant et son caractère affirmé, la KTM prouve qu’il est possible de combiner performances, caractère donc, contrôle et docilité au sein d’une même machine. Ultra performante, elle ne s’adresse pas vraiment aux pilotes néophytes. Il convient de posséder une bonne expérience pour l’exploiter au mieux de ses capacités. Cependant, pas besoin non plus d’être un Marc Marquez ou un Chris Pfeiffer pour se régaler à son guidon. Pensée pour les pilotes aguerris, elle propose une position de conduite étonnamment détendue et un certain confort sans renier la sportivité ni les performances pures. Avec son V-Twin bluffant qui vous projette en avant avec vigueur à chaque rotation de l’accélérateur et qui fait monter en vous des sensations interdites, la Super Duke 1290 R créé la dépendance. Dans mon cas, le plus difficile a été de m’en séparer et de la rendre à Alain son propriétaire. Heureusement qu'en remontant sur ma Streetfighter, j'ai retrouvé une autre "Bête", et pas moins belle, pas moins sensationnelle, loin s'en faut !
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Texte : Max
Date de l'essai : mai 2015